Le Gentil Garçon est l’enfant terrible de
la scène artistique française. Né en 1974 à Lyon, l’artiste déclare dans Le futur est derrière nous car on ne le voit
pas venir être né en 1998. Nom, visage, informations personnelles sont tant
d’éléments que Le Gentil Garçon s’efforce de cacher au grand public. Ne
souhaitant point se soumettre au dictât du marché de l’art, cet artiste
polymorphe explore tous les médiums qui s’offre à lui: dessin, sculpture,
installation, performance. L’œuvre Phoenix
est une illustration des créations multiformes de l’artiste. Cette installation
de pianos fût réalisée en deux temps.
Le 21 mai 2002, dans les locaux d’Attitude à Genève à 19h30, Le Gentil Garçon donne un micro concert pendant le vernissage de l’exposition. à cette occasion, l’artiste crée un piano à usage unique dont le fonctionnement est simple: grâce à un système de transmission mécanique irréversible, chaque touche du clavier est relié à un verre à pied. Lorsque l’artiste enfonce une touche, le verre correspondant à cette touche est brisé. Vêtu d’un costume queue de pie, le visage protégé par un casque de soudeur, Le Gentil Garçon fait son entrée dans la pièce. Le concert, durant moins de cinq minutes, est explosif. Lors de la prestation, 84 verres sur 88 sont brisés. A la fin du concert, l’artiste se lève et brise deux verres de ses mains. A l’issu de cette performance filmée, Le Gentil Garçon ne sait que faire des résidus de verre, mais les conserve en espérant leur trouver une seconde vie plus tard. Cette première partie de l’œuvre, dont la dimension «trafiquée» de l’instrument peut faire référence aux pianos préparés de John Cage, serait une sorte d’exutoire pour l’artiste. N’ayant jamais été bon en musique, cette performance artistique est une manière de se venger. Pour l’écrivain Yves Tenret: «Le Gentil Garçon a le sens du détail et surtout de celui qui est ridicule». L’artiste joue bien plus de l’ironie que de son inaptitude à faire de la musique.
Un an après, il prépare une exposition pour le Kunst Museum à Bonn. Demeurant en Allemagne le temps du montage, il découvre un atelier de fonderie qui réalise des trompettes en verre. C’est alors que le souvenir des verres brisés, du concert donné un an auparavant, resurgit. L’artiste décide d’utiliser les débris afin de couler un cor. Soutenue par Françoise Guichon, alors directrice du Centre International de Recherche sur le Verre à Marseille, Le Gentil Garçon fait fondre le verre afin de lui donner une nouvelle forme: des flammes naît un cor au son puissant. Il intègre l’instrument de verre à l’installation Phoenix, composée de deux pianos. Le premier piano, issu de la performance de 2002, est réexposé tel qu’il était à la fin du concert, avec plus que deux verres intacts. Le deuxième piano est une réplique réalisée en 2003, recouverte de velours noir sur lequel est posé le cor en verre. Des vidéos, mêlant les images de destruction du vernissage intitulée The First Last Song à celles prises lors de la création du cor en verre, sont greffées à l’ensemble.
Là encore, Yves Tenret explique avec clairvoyance la démarche de l’artiste: «Le Gentil Garçon a choisi d'être quelque chose, des bricoles ingénieuses, jouets pervers et polymorphes». Cette installation est toute à la fois: astucieuse, multiforme et sarcastique. L’ironie distillée dans cette œuvre rappelle l’esprit Fluxus, dont l’ambition était d’abolir les frontières entre les arts sur un ton provocateur. L’ingéniosité du premier piano renvoie à l’univers stéréotypé de Mac Gyver. Par ailleurs, le choix de l’artiste pour le piano n’est pas anodin: la dimension sculpturale, ainsi que la place confirmée de l’objet dans l’histoire de l’art, ont très certainement orienté le choix de l’artiste. En 2003, le piano a perdu de son importance dans la société. En prenant cet instrument pour son œuvre, l’artiste joue sur une imagerie classique implantée dans une production artistique contemporaine. De plus, le verre n’a pas été employé uniquement pour sa capacité à se briser. Ce matériau a la caractéristique particulière de pouvoir être réutilisé, refondu indéfiniment sans jamais perdre de sa qualité. Ainsi, Le Gentil Garçon peut inlassablement briser les instruments pour manifester sa frustration face à la musique. Mais ironie du sort, l’instrument ne cessera de revivre.
Le Gentil Garçon, Phoenix, 2002-2003, installation mixte |
A travers cette œuvre, l’artiste met en lumière un univers rempli d’ironie et teinté de poésie. La dimension ludique de la pièce va de paire avec l’esprit bricoleur du Gentil Garçon. Tel un enfant qui voudrait prendre une revanche sur ce qu’il n’arrive pas à faire, l’artiste se met en scène avec dérision et cherche à interroger le monde de l’enfant, avec une technicité physicienne.
par C²
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